Projet de Manifeste programme du (nouveau)Parti communiste italien

Table des matières

Chapitre II

 

Le rôle du parti communiste

 

2.1. Les leçons de l'histoire de la révolution prolétarienne

 

Une situation révolutionnaire de longue durée se trouve devant nous et le communisme est notre futur. Le début de la transition du capitalisme au communisme, le premier pas dans le socialisme, c'est la conquête du pouvoir politique par la classe ouvrière, à l'issue d'un mouvement révolutionnaire : la révolution socialiste et la dictature du prolétariat sont inévitables.

Dans la société moderne créée par le capital, seules deux classes ont un rôle qui leur permet de prendre en mains les principales activités économiques et de les faire fonctionner : donc seules deux classes sont en mesure de gérer le processus de production et de reproduction des conditions matérielles d'existence :

— la bourgeoisie dans le cadre du rapport de capital sur la base de la propriété capitaliste des forces productives et des rapports marchands ;

— la classe ouvrière sur la base de la possession collective des forces productives par les travailleurs associés et d'une gestion unitaire et planifiée des principales activités économiques.

Par conséquent, dans la société moderne seuls sont économiquement possibles le pouvoir de la bourgeoisie impérialiste et celui de la classe ouvrière. Seules ces deux classes peuvent détenir le pouvoir politique. Dans la société moderne, sauf circonstances exceptionnelles et de brève durée, quelque forme d'Etat et de gouvernement que ce soit, quelque régime politique que ce soit ne peuvent se fonder que sur l'une de ces deux classes. Dans la société moderne, l'Etat est soit le monopole de la bourgeoisie impérialiste (donc dictature de la bourgeoisie), soit le monopole de la classe ouvrière (donc dictature de la classe ouvrière). Cela est également valable quelles que soient les formes d'organisation que se donne la classe dirigeante et les institutions à travers lesquelles elle élabore sa ligne de conduite, prend ses décisions et les met en pratique ; quelles que soient les formes que revêtent ses rapports avec les autres classes. Ces formes dépendent des situations concrètes. Bien entendu, celles de la bourgeoisie impérialiste, classe exploiteuse et réactionnaire, opposée à la très grande majorité de la population, sont profondément différentes de celles de la classe ouvrière, classe qui pour son émancipation doit lutter pour le communisme, pour mettre fin à la division en classes, pour l'extinction de l'Etat et pour l'auto-gouvernement des masses populaires organisées, c'est-à-dire pour un pouvoir public construit par les masses elles‑mêmes.

L'expérience des pays socialistes a démontré que le prolétariat doit maintenir sa propre dictature pour une durée indéterminée. L'affaiblissement de la dictature du prolétariat au nom de “ l'Etat du peuple tout entier ” a été l'une des lignes dont la bourgeoisie a profité pour saboter les pays socialistes jusqu'à leur chute. L'Etat de la dictature du prolétariat est la répression de la vieille bourgeoisie et de ses tentatives de restauration à l'intérieur et de l'extérieur ; c'est la lutte pour la mobilisation, l'organisation et la transformation massive des ouvriers en classe dirigeante ; c'est la lutte contre l'organisation en nouvelles classes dominantes des couches dirigeantes et privilégiées qui survivent pendant longtemps encore même sous le socialisme et qui pour des raisons objectives ne seront éliminées que graduellement. C'est la lutte pour la mobilisation et l'organisation de toutes les masses populaires afin qu'elles assument toujours plus la direction de leur propre vie et qu'elles deviennent protagonistes de la société socialiste ; c'est la lutte pour la transformation par étapes de toutes les formes de propriété privée des forces productives en propriété collective de l'ensemble des travailleurs ; c'est la lutte contre toutes les inégalités sociales, contre les privilèges matériels et culturels, contre les vieux rapports sociaux et les conceptions qui reflètent les vieux rapports de classe ; c'est le soutien aux forces révolutionnaires prolétariennes du monde entier ; c'est la lutte pour l'adaptation des rapports de production, du reste des rapports sociaux et des conceptions, au caractère collectif des forces productives et pour le développement de cette caractéristique pour les forces productives qui ne sont pas encore collectives. La dictature du prolétariat ne disparaîtra qu'avec la disparition de la division en classes et de l'Etat lui-même. Alors même le parti communiste disparaîtra.

La classe ouvrière est constituée par tous les travailleurs des unités de production capitalistes. Elle s'est formée du point de vue subjectif d'abord dans les luttes revendicatives, économiques et politiques, dans lesquelles elle s'est opposée à la bourgeoisie, puis dans la lutte pour le pouvoir. Elle complétera sa formation comme classe dirigeante dans l'exercice même du pouvoir.

L'expérience de toutes les révolutions prolétariennes (commencées en 1871 avec la Commune de Paris) nous enseigne qu'aucun mouvement révolutionnaire de la classe ouvrière ne peut aller très loin, ni ne peut donc remporter la victoire, s'il n'est pas dirigé par un parti communiste. La classe ouvrière se constitue comme classe dirigeante en créant le parti communiste.

Le parti communiste :

— est la partie d'avant‑garde et organisée de la classe ouvrière, incarne la conscience de la classe ouvrière en lutte pour la conquête du pouvoir et est l'instrument avec lequel elle dirige le reste du prolétariat et des masses populaires ;

— est le parti de la classe ouvrière, dans le sens qu'il lutte pour instaurer le pouvoir de la classe ouvrière et pour le communisme ;

— est le détachement d'avant‑garde de la classe ouvrière dans le sens qu'il est la conscience de la classe ouvrière en lutte pour le pouvoir, il est l'interprète conscient d'un processus en grande partie spontané, connaît les lois de la révolution, faute de quoi il ne serait pas en mesure de diriger la lutte de la classe ouvrière ;

— est une partie de la classe ouvrière, dans le sens que dans le parti, il y a les meilleurs éléments de la classe ouvrière, les plus dévoués à la cause du communisme, les plus combatifs, les plus riches en expérience de luttes et en initiatives, les plus influents et disciplinés : dans le parti, il peut y avoir et en général il y a également des membres d'autres classes qui ont pris parti pour la cause du communisme, mais les ouvriers en sont la composante indispensable ;

— c'est le détachement organisé, dans le sens qu'il est un ensemble discipliné d'organisations qui sont toutes reliées à un centre dont elles suivent les directives avec une discipline absolue, à qui elles sont liées selon les principes du centralisme démocratique ;

— c'est la plus haute forme d'organisation de la classe ouvrière dans le sens qu'il organise et dirige toutes ses autres organisations et qu'il est l'instrument de sa direction sur le reste du prolétariat et des masses populaires, promoteur et dirigeant des organisations des masses les plus diverses qu'il recueille et guide vers l'objectif commun ;

— est l'instrument de la dictature de la classe ouvrière : d'abord pour instaurer la dictature de la classe ouvrière, puis pour la consolider et l'amplifier et faire en sorte qu'elle assure la transition vers le communisme.

Parmi ces caractéristiques du parti communiste, vu les traditions de notre pays, l'expérience du premier Parti communiste italien et la situation dans laquelle se forme le nouveau parti, nous devons mettre en avant le fait que le parti est la conscience de la classe ouvrière en lutte pour le pouvoir, l'interprète conscient d'un processus spontané.

Pour mener la révolution à la victoire, le parti communiste doit avoir assimilé le matérialisme dialectique comme conception du monde et comme méthode de pensée et d'action exprimé dans le marxisme‑léninisme‑maoïsme et savoir l'appliquer à l'examen réel de la situation concrète de la révolution socialiste dans notre pays, pour être en mesure d'élaborer la ligne générale, les lignes particulières et les mesures à adopter dans son activité. Le parti doit avoir une bonne compréhension du mouvement économique et politique de la société, des tendances objectives en action, des différentes classes qui la composent, des forces motrices de la transformation de la société, des résultats possibles dans les différentes étapes qui composent la transformation en cours. Le mouvement révolutionnaire, pour vaincre, doit être dirigé par un parti communiste qui applique de manière créatrice le bilan de l'expérience passée (le marxisme‑léninisme‑maoïsme) à l'expérience concrète du mouvement révolutionnaire de notre pays.

L'histoire du mouvement communiste de notre pays est riche en épisodes de luttes, dans lesquels les masses populaires et les militants ont fait preuve d'héroïsme et d'initiative révolutionnaire, mais n'ont pas remporté la victoire à cause de l'absence d'une direction basée sur une juste théorie de la révolution socialiste dans notre pays. C'est donc aujourd'hui une question de responsabilité, pour nous communistes, de nous occuper de tirer cette théorie de l'expérience. Si le parti a une ligne correcte, il conquerra tout ce qu'il n'a pas encore et surmontera toutes les difficultés. C'est seulement si le parti a une théorie révolutionnaire qu'il peut diriger un mouvement révolutionnaire qui est inévitablement en grande partie spontané, vu les conditions dans lesquelles l'actuelle classe dominante confine les masses populaires. Ce n'est qu'avec une juste direction du parti que le mouvement révolutionnaire pourra donc se développer et arriver à la victoire.

La révolution socialiste est faite par la classe ouvrière, par le prolétariat et par les masses populaires : le parti communiste est la direction, l'Etat‑major de cette lutte. C'est un parti de cadres qui dirige une lutte de masse, qui fait donc partie des masses et est profondément lié à celles‑ci afin d'être capable d'en comprendre les tendances et de développer celles qui sont positives.

Le parti conduit son œuvre d'agitation et de propagande ainsi que son travail d'organisation parmi les masses sur la base de sa ligne politique et oriente le mouvement des masses de manière à développer les forces de la révolution, les renforcer et les rassembler sous la direction de la classe ouvrière. Son objectif n'est pas de rechercher des approbations, ni de faire accepter ses propres conceptions aux masses, mais de diriger le mouvement des masses dans la lutte contre la bourgeoisie impérialiste pour l'instauration de la dictature de la classe ouvrière. Dans les luttes revendicatives des masses populaires, du prolétariat et de la classe ouvrière, le parti a constamment pour objectif de rassembler et accumuler les forces révolutionnaires. En défendant les conquêtes des masses, le parti prépare les conditions pour l'attaque.

Le parti fait de l'agitation parmi les masses, mais il se distingue nettement des aventuriers, des intrigants et des individus qui utilisent l'agitation des masses comme marchandise d'échange pour leur ascension dans les hiérarchies du régime : ils “ agitent les masses ” sans avoir la moindre idée où aller, sans se préoccuper d'assimiler l'expérience du passé, sans se poser le problème d'identifier et de résoudre les insuffisances qui ont fait que le prolétariat dans notre pays, pendant la période 1914‑1945, n'a pas réussi à conquérir le pouvoir.

Aujourd'hui, ces agitateurs et profiteurs des luttes des masses se rejoignent avec ces vieux opportunistes qui, face à l'écroulement des révisionnistes modernes, se proposent comme “ conservateurs du communisme ” et dont le rôle réel est de paralyser dans le bourbier d'une politique stérile de résultats révolutionnaires, mais drapée de phraséologie communiste, les énergies que l'écroulement des organisations révisionnistes libère.

Le parti communiste se met à l'école des masses, il apprend à diriger la lutte que les masses mènent contre la bourgeoisie impérialiste dans le contexte de la seconde crise générale du capitalisme.

Le parti se met à l'école des masses, non comme les subjectivistes et les économistes dans le sens de se confondre avec elles ou “ d'agiter les masses ”, mais dans le sens d'apprendre à la lumière

— de l'expérience du premier “ assaut au ciel ” : la Révolution d'Octobre, la construction du socialisme, l'Internationale Communiste, la lutte contre le fascisme et la Résistance, les révolutions anti‑impérialistes, la Révolution Culturelle Prolétarienne ;

— de l'expérience négative des régimes des révisionnistes modernes : pour progresser, nous devons apprendre également en étudiant les erreurs que la bourgeoisie et ses porte‑parole au contraire cherchent à utiliser contre nous ;

— de l'expérience du mouvement de masse et révolutionnaire dans notre pays, de la lutte de la classe ouvrière et de la résistance que les masses populaires opposent à la progression de la crise générale du capitalisme.

 

Le parti va dégager de cette expérience une conception du monde, une théorie de la révolution, un programme, une ligne politique et une ligne organisationnelle sur la base desquelles il tisse au sein de la classe ouvrière, du prolétariat, des masses populaires et de la société tout entière, les rapports d'organisation, de direction et d'influence qui en dérivent. Pour un communiste, aujourd'hui, le nœud principal du problème, ce n'est pas dans quelle mesure les masses “ sont en agitation ”, parce que, vu la situation révolutionnaire qui se développe, les masses présentent et présenteront toujours plus un terrain favorable à l'action des communistes, mais dans quelle mesure le parti a appris à assumer les tâches qui le rendront capable de diriger le mouvement des masses jusqu'à la victoire de la révolution socialiste.(1)

Le rôle spécifique de l'initiative du parti dans chaque situation donnée consiste à réunir et à mobiliser les forces motrices d'une des solutions possibles en opposition aux autres. Mais c'est le mouvement économique de la société qui dans son déroulement engendre dans chaque situation concrète aussi bien les objectifs possibles de l'activité politique des communistes que les forces avec lesquelles poursuivre lesdits objectifs. Se procurer les conditions matérielles d'existence est la principale occupation et la force motrice de l'activité de l'immense majorité des hommes : l'ensemble des activités qui s'y rapportent est le cadre à l'intérieur duquel se déroule la vie de tous les individus et se joue le devenir de la société tout entière. Les tendances subjectivistes propres à l'aristocratie prolétarienne des pays impérialistes, laquelle amène au sein des masses l'influence de la bourgeoisie, ont souvent fait oublier, y compris aux communistes, ces thèses fondamentales de la conception matérialiste de l'histoire. La conséquence a été et est le pullulement de conceptions, de lignes et d'objectifs politiques arbitraires et donc perdants.

C'est le mouvement pratique, organisé et spontané des masses qui transforme la société. Une théorie ne devient une force capable de transformer la société que si elle s'incarne dans un mouvement pratique, comme orientation pour son action ; une théorie n'apparaît que comme synthèse de l'expérience d'un mouvement pratique. Le parti par conséquent reconnaît et affirme la primauté du mouvement pratique comme source de la connaissance, comme acteur de la transformation de la société et comme juge de dernière instance de la vérité, pour chaque théorie de la révolution. Le parti ne se présente pas devant les masses de manière doctrinaire en proclamant une nouvelle vérité qu'il demande d'accepter ni ne demande de s'unir à lui pour professer une nouvelle théorie. Le parti essaie de tirer de l'expérience commune du mouvement des masses le pourquoi des évènements qui la composent. Donc il ne dit jamais aux masses : arrêtez de lutter, ce que vous faites est inutile, vous devez d'abord vous former une conscience et vous donner une théorie. Au contraire, il essaie de comprendre quel est le vrai motif pour lequel les masses combattent, quelle est la réelle source de leur force et il essaie d'en tirer une ligne pour aller vers la victoire. Les masses doivent s'approprier et mettre en œuvre la ligne pour progresser vers la victoire.(2)

Mille initiatives, mille organismes et rapports organisationnels, mille luttes revendicatives, protestations, rébellions, révoltes, composent le mouvement pratique : le parti doit chercher à en comprendre les raisons fondamentales et d'ensemble, à acquérir cette conscience qui permet, à qui la fait sienne, de travailler de manière systématique pour les développer et les fortifier, pour les libérer des embûches et des limites qu'ils véhiculent du fait de l'influence du vieux monde, des rapports et de la culture de la classe dominante, à les unir en une force victorieuse, capable d'éliminer le vieux monde de la bourgeoisie et de commencer la construction du nouveau monde communiste. Donc cette conscience sur laquelle se base l'unité du parti, qui lui permet de diriger le mouvement des masses jusqu'à la victoire de la révolution socialiste.

Le parti doit être uni sur la ligne politique et sur la conception du monde et sur la méthode du prolétariat, le matérialisme dialectique, lesquels permettent d'élaborer la ligne juste de l'analyse de l'expérience de la lutte concrète qu'il dirige et de la situation concrète elle‑même.

Sur cette base, il crée et renforce ses propres liens avec les masses, il renforce sa propre organisation et raffermit sa propre unité.

L'unité du parti se consolide grâce à l'application rigoureuse du centralisme démocratique, à la vérification des idées à la lumière de la pratique, à l'unité avec les masses, à la pratique de la critique et de l'autocritique, à la formation des cadres, à la lutte entre les deux lignes, à l'épuration. Le parti communiste est certes le parti de la classe ouvrière, mais la bourgeoisie elle aussi y exerce son influence. La vie du parti est inévitablement influencée par les contradictions de classe (lutte entre les deux lignes), par les contradictions entre le nouveau et l'ancien, par la contradiction entre le vrai et le faux. Cela est un fait objectif : c'est seulement si nous le reconnaissons que nous pouvons le comprendre et y faire face efficacement.

La méthode principale qu'emploie le parti pour assumer son devoir de diriger la classe ouvrière, le reste du prolétariat et des masses populaires, c'est la ligne de masse.(3)

 

2.2. L'Etat de la bourgeoisie impérialiste et le parti communiste

 

Le parti doit combattre chez ses membres toute conception ou tendance à fonder son existence et son action sur les libertés (de pensée, de propagande, d'agitation, d'organisation, de manifestation, de réunion, de grève, de protestation, etc.) qui avec la victoire de la Résistance ont été en quelque mesure introduites dans notre pays, et qui survivent encore en partie à l'élimination des conquêtes arrachées par la classe ouvrière et les masses populaires de la part de la bourgeoisie impérialiste depuis le milieu des années 70. Dans le même temps, il doit aider les masses à tirer de manière correcte le bilan de l'expérience qu'elles font jour après jour des limites dans lesquelles la classe dominante a toujours confiné ces libertés et des restrictions qu'elle est en train d'imposer, du fait de la progression de la crise générale du capitalisme.

Avec le début de la phase impérialiste, la bourgeoisie a cessé de lutter pour la démocratie, fût‑elle bourgeoise, c'est-à-dire pour tous en paroles, mais limitée aux classes possédantes dans les faits. “ L'impérialisme tend à substituer la démocratie en général par l'oligarchie ”, “ l'impérialisme contredit .... la démocratie politique ”. “ L'impérialisme ne freine pas l'extension du capitalisme et le renforcement des tendances démocratiques au sein des masses, mais il accentue l'antagonisme entre ces aspirations démocratiques et les tendances antidémocratiques des monopoles ”.(4)

Toutes les fois que la classe ouvrière a basé sa lutte sur la démocratie bourgeoise, la bourgeoisie impérialiste lui a rappelé que le pouvoir lui appartenait, en recourant à des massacres et à des répressions massives, à des coups d'Etat, à des provocations et des scissions contre les organisations de la classe ouvrière et a imposé son pouvoir : de l'Espagne à l'Indonésie au Chili. Cela a confirmé ce qu'Engels indiquait en 1895 : la bourgeoisie face à la maturation politique de la classe ouvrière sera la première à violer sa propre légalité.(5) L'accumulation des forces révolutionnaires ne peut se faire dans le cadre des procédures et des libertés inscrites dans les constitutions de la bourgeoisie. Celles‑ci ne valent que dans la mesure où elles sont utiles à la bourgeoisie pour conserver son pouvoir. Ce ne sont pas des normes communes qui règlent la lutte de toutes les classes, mais des mesures destinées à garder soumises la classe ouvrière et les autres classes exploitées et opprimées. La bourgeoisie pouvait rester démocratique seulement tant que la classe ouvrière était encore loin de pouvoir exercer dans la pratique les droits qui lui étaient reconnus sur le papier. La réalité a démenti les illusions de ceux qui pensaient que l'époque où la bourgeoisie avait joué un rôle progressiste allait continuer, que le fascisme avait été une parenthèse ou une déviation dans le cours de la vie de la société bourgeoise, qu'après le fascisme la bourgeoisie pourrait retourner aux vieilles formes de pouvoir, à la démocratie bourgeoise. Les révisionnistes modernes du monde entier se sont faits les propagandistes de ces illusions et ont conduit les masses dans l'impasse du parlementarisme, de la participation, des réformes de structure et d'autres bavardages qui sont restés comme tels. Ces illusions ont pesé négativement sur la lutte de la classe ouvrière et sur la capacité de direction de son parti ; elles existent encore et continueront à exister encore pendant un certain temps. Seule l'expérience pratique les balaiera sur une grande échelle.

La progression de la crise générale du capitalisme contraint la bourgeoisie à accentuer le caractère répressif, militariste, secret, de son régime, dans ses rapports avec les masses populaires et dans ses rapports même entre les groupes impérialistes. La désinformation, la provocation, le contrôle, l'infiltration, l'intimidation, le chantage, l'élimination et la répression sont des moyens courants de lutte politique de la part de la classe dominante et le deviendront encore plus à l'avenir que pendant les cinquante dernières années.

Avec le début de l'époque impérialiste et encore plus avec la première crise générale du capitalisme, l'Etat de la bourgeoisie impérialiste est devenu un Etat policier et militariste, profondément réactionnaire. Il a cessé d'être l'Etat de la démocratie bourgeoise et est devenu l'Etat de la contre‑révolution préventive organisée, l'instrument pour la répression et la guerre de la bourgeoisie impérialiste, contre la classe ouvrière et les masses populaires.(6)

L'expérience de la première crise générale du capitalisme a démontré que la lutte entre la bourgeoisie impérialiste et les masses populaires, du fait de la progression de la crise, se transforme inévitablement en guerre civile ou en guerre entre Etats.

Partout où la classe ouvrière n'a pas su se porter à la tête de la mobilisation des masses populaires, la mobilisation de celles‑ci est devenue une mobilisation réactionnaire, la classe ouvrière a subi la guerre imposée par la bourgeoisie et toutes les masses populaires en ont payé les conséquences.(7)

Le parti doit se construire en tenant compte de ces aspects ainsi que de la faiblesse et de l'instabilité du régime de la bourgeoisie impérialiste, corrodé par l'opposition croissante des masses populaires, par le développement des contradictions entre les groupes impérialistes et par une croissante mobilisation révolutionnaire et réactionnaire des masses.

Sur la base de l'analyse de la situation concrète et des devoirs qu'il doit assumer, pour conduire la classe ouvrière à la conquête du pouvoir, le nouveau parti communiste définit sa nature et ses caractéristiques.

 

2.3. Le parti national et la révolution mondiale

 

Bien que les nations survivent encore et que de nombreux Etats existent toujours, le capitalisme a déjà unifié le monde entier sur le plan économique. Donc le socialisme peut s'affirmer définitivement, seulement comme système mondial. Le retour stable et à durée indéterminée à un monde morcelé en de multiples îlots autosuffisants est un objectif non seulement réactionnaire, mais irréalisable.

Les crises générales du capitalisme sont des crises mondiales et mondiale est aussi la situation révolutionnaire qui en dérive. Toutefois la révolution prolétarienne (révolution socialiste ou révolution de nouvelle démocratie) peut l'emporter dans certains pays et ne pas se développer ou être vaincue dans d'autres. Son succès dépend aussi de facteurs particuliers, spécifiques à chaque pays.

Le premier acte de la révolution socialiste est la destruction de l'Etat existant et la création d'un nouvel Etat. Dans chaque pays, la bourgeoisie impérialiste a aujourd'hui son Etat et c'est celui‑là que nous devons abattre.

Tout cela confirme aussi bien la nécessité de la formation de partis communistes spécifiques dans chaque pays que la nécessité de leur collaboration internationaliste. Là où il y a des pays plurinationaux, le parti communiste doit en outre et avec force promouvoir la lutte contre l'oppression nationale et le chauvinisme nationaliste, soutenir le droit de chaque nation à disposer d'elle‑même jusqu'à la sécession et unir les travailleurs et les masses populaires de toutes les nationalités dans la lutte commune contre la bourgeoisie impérialiste et son Etat. Pour vaincre leurs ennemis respectifs, les différents “ détachements nationaux ” de la classe ouvrière doivent apprendre les uns des autres, collaborer entre eux et se soutenir réciproquement. C'est ce que nous avons vu se réaliser pendant les cent cinquante ans du mouvement communiste, sous des formes plus ou moins développées, selon les différentes phases où l'on se trouvait : sous une forme organisée dans la Ligue des communistes (1847-1852), dans la Ie Internationale (1864-1876), dans la IIe Internationale (1889‑1914), dans l'Internationale Communiste (1919‑1943), dans le Kominform (1947‑1956), de manière informelle au cours des autres périodes.

La bourgeoisie impérialiste réalise l'unité économique du monde dans le cadre du rapport de production capitaliste et de rapports bourgeois. Donc cette unité a la forme du marché mondial et de l'exportation de capitaux, de la concurrence, du développement inégal, de l'oppression et de l'exploitation des pays les plus faibles par les plus forts, de la formation d'une aristocratie ouvrière dans certains pays et de l'extermination de la classe ouvrière dans d'autres, du partage du monde entre quelques groupes impérialistes, de la domination des groupes impérialistes les plus faibles par les plus forts, de l'extermination des populations qui ne savent pas résister à l'envahissement des capitalistes, de la féroce domination impérialiste, des guerres mondiales, de la surpopulation mondiale qui condamne des populations entières à l'extinction, de la lutte entre nations pour la survie, “ l'espace vital ”, la “ place au soleil ”.(8)

En face, au fur et à mesure que la révolution prolétarienne avance, l'unité économique du monde trouve graduellement par bonds, avec des pas en avant et d'autres en arrière, sa forme adéquate aussi au niveau de la superstructure, dans la formation des partis communistes dans chaque pays, dans leur collaboration plus ou moins étroite et plus ou moins organisée, dans la création du camp socialiste.

La classe ouvrière de chaque pays apprend auprès de celle des autres pays et fait connaître son expérience à la classe ouvrière des autres pays, le développement de sa lutte dépend de la marche de l'économie mondiale, du système des relations internationales, etc. La classe dominante d'un pays collabore avec celles d'autres pays ou bien s'affronte avec elles. Il s'agit là de données qui font partie du caractère internationaliste du mouvement communiste d'un pays. Un caractère objectif, qui existe indépendamment du niveau de la compréhension qu'en a chaque mouvement communiste national et de l'activité responsable qu'il exerce dans ce domaine, à travers son parti communiste et ses organisations de masse. Le parti communiste doit avoir conscience de ce lien international, le développer et le mettre en avant.

Le parti communiste de chaque pays a le devoir de conduire avec succès la révolution dans son propre pays et ainsi de contribuer au succès de la révolution au niveau mondial.

 

NOTES

 

1. Le mouvement de résistance des masses populaires à l'avancée de la crise de la société bourgeoise et les tâches des Forces subjectives de la révolution socialiste, dans Rapporti Sociali n° 12/13 (1992).

 

2. “ Nous n'affronterons pas le monde de manière doctrinaire, avec un nouveau principe : ceci est la vérité, à genoux ! A travers les principes du monde, nous illustrerons de nouveaux principes. Nous ne lui dirons pas : “ Abandonne ta lutte, c'est une bêtise ; nous te soufflerons le vrai mot d'ordre de la lutte ”. Nous lui montrerons uniquement la raison pour laquelle il combat, puisque la conscience est une chose qu'il doit s'approprier ”.

Lettre de K. Marx à Arnold Ruge (septembre 1843).

 

3. Ligne de masse

C'est la principale méthode de travail et de direction du parti communiste et c'est l'application de la théorie marxiste de la connaissance à l'activité politique. Elle consiste à repérer dans chaque situation les tendances positives et négatives existantes dans les masses et à intervenir pour soutenir les tendances positives et combattre les négatives ; à repérer dans chaque situation la gauche, le centre et la droite et à intervenir pour mobiliser et organiser la gauche pour qu'elle attire à elle le centre et isole la droite ; à recueillir les idées dispersées et confuses des masses, à les élaborer grâce au matérialisme dialectique et à la connaissance du mouvement économique de la société, à obtenir une analyse de la situation, à la traduire en lignes, critères, mesures et à les délivrer aux masses afin qu'elles se les approprient et les mettent en application. La théorie de la ligne de masse est l'un des apports du maoïsme à la pensée communiste.

Références : Ligne de masse et théorie marxiste de la connaissance, dans Rapporti Sociali n° 11 (1991) ; édition en français : dans Rapports Sociaux n° 7/8 (1993) ; édition en anglais : dans Social Relations n° 2 (1992).

La ligne de masse, dans Rapporti Sociali n° 12/13 (1992) ; édition en français : dans Rapports Sociaux n° 7/8 (1993).

De nombreux écrits de Mao Tsé-toung relatifs à la ligne de masse se trouvent dans les volumes 8 et 9 de ses Œuvres (Editions Rapporti Sociali).

 

4. V.I. Lénine, Une caricature du marxisme et à propos de “ l'économisme impérialiste ” (1916), dans œuvres, vol. 23.

 

5. F. Engels, Introduction à “ Les luttes de classes en France de 1848 à 1850 ” (1895), dans Œuvres complètes, vol. 10.

 

6. Références :

Démocratie et socialisme, dans Rapporti Sociali n° 7 (1990) ; édition en français : dans Rapports Sociaux n° 3/4 (1991) ; édition en anglais : dans Social Relations n° 2 (1992).

La situation révolutionnaire en développement, dans Rapporti Sociali  9/10 (1991) ; édition en français : dans Rapports Sociaux n° 7/8 (1993) ; édition en anglais : dans Social Relations n° 1 (1992).

 

7. Références :

Les contradictions entre Etats impérialistes dans le futur, dans Rapporti Sociali  4 (1989).

 

8. La bourgeoisie impérialiste a soumis et continue de soumettre à une exploitation particulièrement intense la population des pays semi‑coloniaux où la classe ouvrière a encore de faibles capacités pour s'organiser et contester par la lutte syndicale et politique l'appauvrissement croissant des travailleurs auquel mène le capitalisme. Dans certains pays semi‑coloniaux, le capitalisme provoque l'extinction de la classe ouvrière, en donnant des salaires systématiquement inférieurs à la valeur de la force de travail, c'est-à-dire à ce qui est nécessaire à sa reproduction (capitalisme “ vole et fuis ”) : la destruction des populations et des ressources naturelles sont le résultat du “ miracle économique ” de divers pays semi-coloniaux. Dans d'autres pays, la bourgeoisie impérialiste élimine directement la population pour s'emparer de la terre, des forêts ou des ressources du sous‑sol (Indios d'Amazonie, Ogons au Nigeria, etc.).