Projet de Manifeste programme du nouveau Parti communiste italien
La fin de la Seconde Guerre mondiale marqua également la fin de la première crise générale du capitalisme. Durant cette première crise générale, le mouvement communiste obtint de grands succès. Ces succès mêmes et le tournant que connaissait le capitalisme lui imposaient de nouvelles et de plus importantes tâches, que ce soit pour l'avancement de la transition du capitalisme au communisme dans les pays socialistes, comme pour ce qui avait trait au développement de la révolution socialiste dans les pays impérialistes et de la révolution de nouvelle démocratie dans les pays coloniaux et semi‑coloniaux.
Les pays socialistes avaient défendu leur propre existence et avaient formé un vaste camp socialiste qui allait de l'Europe centrale à l'Asie du Sud-Est et qui comprenait un tiers de la population mondiale : à ce point, ils devaient trouver une ligne pour poursuivre, dans ce nouveau contexte, la transition vers le communisme. La grande influence que le mouvement communiste exerçait dans les pays impérialistes et dans les pays coloniaux et semi-coloniaux imposait dans ces pays le devoir de faire avancer la lutte vers la victoire. Le mouvement communiste devait accomplir un saut de qualité. En conséquence, un affrontement au niveau mondial s'ouvrit à nouveau, entre deux lignes antagonistes, au sein du mouvement communiste international.
D'une part, la gauche soutenait la poursuite de la lutte contre l'impérialisme sur les trois fronts (pays socialistes, pays impérialistes, colonies et semi‑colonies). Elle n'avait pourtant pas compris que la première crise générale du capitalisme était terminée et que s'ouvrait pour ce dernier, qui demeurait encore le système économique dominant dans le monde, une période relativement longue de reprise de l'accumulation et d'expansion de l'activité économique. Elle n'avait donc pas une ligne générale adaptée à la situation et, d'une manière générale, pêchait par dogmatisme.
De l'autre, la droite soutenait la ligne de l'entente et de la collaboration avec la bourgeoisie impérialiste. Elle avait sa base théorique dans le révisionnisme moderne. En opposition avec la loi de l'exaspération de la lutte de classe, le révisionnisme moderne soutenait que la force conquise par la classe ouvrière atténuait les antagonismes de classe, rendait possible une transformation graduelle et pacifique de la société, amenait la bourgeoisie à être plus conciliante et la rendait encline à faire des concessions et des réformes. Selon la droite, le système capitaliste ne générait plus de crises et de guerres, comme la tempête, la grêle. C'était la “ nouvelle ” théorie qu'avancèrent Khrouchtchev, Togliatti et les autres révisionnistes modernes.
Dans les pays socialistes, la droite tentait d'atténuer les antagonismes de classe, soutenait qu'il n'y avait plus ni de division en classes ni de lutte entre les classes, parce que désormais la victoire du socialisme était complète et définitive. Dans les rapports internationaux, sa position était de soutenir l'intégration économique, politique et culturelle des pays socialistes avec le monde impérialiste, substituant par là la compétition économique, politique et culturelle des pays socialistes avec les pays impérialistes, à la coexistence pacifique entre pays à régime social différent et au soutien à la révolution prolétarienne. Au sein des pays impérialistes, la droite proposait la voie parlementaire et réformiste au socialisme : des réformes de structure et un élargissement des conquêtes sur le terrain économique, politique et culturel auraient, selon elle, transformé la société capitaliste en société socialiste. Dans les pays semi‑coloniaux et coloniaux, la droite était opposée à la poursuite des guerres anti-impérialistes de libération nationale et soutenait la direction de la bourgeoisie bureaucratique et compradore qui avait pour objectif d'arracher graduellement des concessions aux impérialistes.
Dans ces conditions, le révisionnisme moderne prévalut à l'échelle mondiale, comme au début du siècle, le révisionnisme prôné par Bernstein avait prévalu dans le mouvement communiste. Son succès était favorisé non seulement par la faiblesse de la gauche et par la nouveauté des tâches qui découlait pour les communistes de la phase ayant commencé avec la fin de la première crise générale du capitalisme, mais également par la circonstance objective de la fin, avec la Seconde Guerre mondiale, de la première crise générale du capitalisme.
Les bouleversements politiques et économiques, ainsi que les destructions survenues pendant la première crise générale et en particulier à cause des deux guerres mondiales, ouvrirent en fait à la bourgeoisie l'espace pour une reprise de l'accumulation de capital, avec la nouvelle expansion qui découlait du processus de production et de reproduction des conditions matérielles d'existence. Dans ces conditions, les oppositions économiques entre groupes impérialistes et entre bourgeoisie impérialiste et masses populaires cessèrent d'êtres antagonistes et cela démentait en apparence la loi de l'exaspération de la lutte de classe.
Lors des trente années (1945‑1975) qui suivirent la Seconde Guerre mondiale, le mode de production capitaliste put se répandre à nouveau, dans tous les endroits où la bourgeoisie avait maintenu son pouvoir.
Dans cette nouvelle situation, le prolétariat et les masses travailleuses des pays impérialistes, forts de l'expérience révolutionnaire acquise pendant la période précédente, réussirent à arracher une série d'améliorations des conditions économiques, de travail, politiques et culturelles : amélioration des conditions matérielles d'existence, politiques de plein emploi et de garantie de l'emploi, droit de s'organiser sur le lieu de travail, droit d'intervention dans l'organisation du travail, réduction des discriminations basées sur la race, le sexe et l'âge, scolarisation de masse, mesures de prévoyance en ce qui concerne l'invalidité et la vieillesse, systèmes d'assistance sanitaire, constructions d'habitations à loyers modérés, etc. Dans tous les pays impérialistes débuta de fait au cours de ces années, la construction d'un capitalisme à visage humain, c'est-à-dire une société dans laquelle, bien que toujours dans le cadre des rapports de production capitalistes et du travail salarié (donc de la capacité de travail comme marchandise et du travailleur comme vendeur de celle‑ci), chaque membre des classes opprimées avait à sa disposition dans tous les cas, les moyens nécessaires pour mener une existence normale et pour assurer le soutien et l'éducation des personnes à sa charge ; dans laquelle chaque membre des classes opprimées avait dans la vie productive de la société un rôle d'une certaine manière adapté à ses caractéristiques, connaissait une certaine réduction de la pénibilité du travail, était assuré contre la misère en cas de maladie, d'invalidité et de vieillesse.
Sur ce terrain, dans tous les pays impérialistes, les révisionnistes modernes et les réformistes s'affirmèrent. Dans tous ces pays, ils assumèrent la direction du mouvement ouvrier en tant que théoriciens, propagandistes et promoteurs de l'amélioration dans le cadre de la société bourgeoise. Ils proclamèrent que le développement de la société bourgeoise aurait continué, de conquêtes en conquêtes, de réformes en réformes, jusqu'à transformer la société bourgeoise en société socialiste. Les bannières, les slogans et les principes qu'ils employèrent furent différents selon les pays, en fonction des conditions politiques et culturelles concrètes héritées de l'histoire, mais leur rôle dans le mouvement politique et économique de la société fut le même.
Grâce à la nouvelle période de développement du capitalisme, dans la plus grande partie des pays dépendants des groupes et des Etats impérialistes, la direction du mouvement des masses fut accaparée par les défenseurs et les promoteurs de la collaboration avec les impérialistes, les porte‑voix de la bourgeoisie bureaucratique et compradore. La majorité de ces pays devinrent des semi-colonies : ils constituèrent des Etats autonomes dépendants d'un ou de plusieurs groupes impérialistes (colonialisme collectif) ; quelques résidus féodaux furent dans une certaine mesure limités, mais en détruisant toutefois les conditions de reproduction de très nombreux paysans qui affluèrent dans les villes en y trouvant des conditions de pauvreté extrême ; d'autres résidus féodaux furent assumés par l'impérialisme et utilisés pour soutenir le colonialisme ; le capitalisme bureaucratique et comprador se renforça.
Dans les pays socialistes, les tenants de la voie capitaliste et les promoteurs de la restauration du capitalisme tirèrent eux aussi une grande force de la nouvelle période de développement du capitalisme. Ils trouvèrent chez les révisionnistes modernes dirigés par Khrouchtchev, Brejnev et Deng Xiaoping leurs représentants au sein des organismes des Etats des pays socialistes, des organisations de masse et des partis communistes. Ils empêchèrent que soient prises les mesures économiques, politiques et culturelles nécessaires aux fins de faire progresser la transformation de la société vers le communisme ; ils mirent leurs pays à l'école du capitalisme en singeant ses institutions et tissèrent d'étroits liens économiques (commerciaux, technologiques et financiers), politiques et culturels avec les capitalistes, finissant par transformer les pays socialistes en pays économiquement et culturellement dépendants et politiquement faibles.
En conclusion, les trente années qui suivirent la fin de la Seconde Guerre mondiale constituèrent, dans l'ensemble, une période de reprise pour la bourgeoisie. Toutefois, les forces révolutionnaires obtinrent quelques succès de grande portée (Cuba, Indochine) et, surtout, elles s'enrichirent de l'expérience de la Grande Révolution Culturelle Prolétarienne (1966‑1976). Contre‑courant par rapport à la majorité du mouvement communiste mondial, le Parti communiste chinois conduisit une longue lutte contre le révisionnisme moderne au niveau international et tenta de faire progresser la transition vers le communisme dans la République populaire chinoise. Même si la lutte du PCC n'a pu dans l'immédiat inverser le cours du mouvement communiste mondial, ni empêcher le PCC lui‑même de tomber aux mains des révisionnistes, elle a légué aux communistes du monde entier le maoïsme comme troisième étape supérieure de la pensée communiste, après le marxisme et le léninisme : il fait le bilan de l'expérience de la première vague de la révolution prolétarienne et de l'expérience de la lutte des classes dans les pays socialistes.(25)
Le succès du révisionnisme moderne a fait régresser le mouvement communiste par rapport aux résultats obtenus à la fin de la première crise générale du capitalisme. Mais le succès des révisionnistes modernes est forcément provisoire : par sa nature même, le révisionnisme est un frein au développement du mouvement communiste, un contre-courant par rapport à la direction principale et, dans le pire des cas, il ramène au capitalisme, duquel le mouvement communiste renaît par la force des choses. Le développement pratique des évènements provoqués par son succès provisoire a enseigné à tous les communistes que le révisionnisme, s'il a fait le jeu de la bourgeoisie impérialiste et provoqué le désastre de la fin des années 80, comparable en gravité à celui des partis sociaux‑démocrates en 1914, a jeté les bases pour une nouvelle et meilleure reprise du mouvement communiste.
1.6. La deuxième crise générale du capitalisme et la nouvelle vague de la révolution prolétarienne
Au cours des trente années (1945-1975) qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, la bourgeoisie impérialiste a à nouveau épuisé les marges d'accumulation qu'elle s'était créée avec les bouleversements et les destructions des deux guerres mondiales. A partir des années 70, le monde capitaliste est entré dans une nouvelle crise générale de surproduction absolue de capital. L'accumulation de capital ne pouvait plus se poursuivre dans le cadre des organisations internes et internationales existantes. En conséquence, le processus de production et de reproduction des conditions matérielles d'existence de toute la société s'en est trouvé bouleversé, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre et ce de manière de plus en plus importante et généralisée.
Apparemment les capitalistes sont tantôt aux prises avec l'inflation et la stagnation, tantôt avec la variation violente des changes, ici avec l'augmentation des déficits publics, là avec la difficulté de trouver des marchés pour écouler les marchandises produites, à un moment donné avec la crise et le boom des Bourses et à un autre avec le problème des déficits extérieurs et le chômage de masse. Eux et leurs porte-parole ne peuvent comprendre la cause véritable des problèmes qui les assaillent. Mais la surproduction de capital produit ses effets même si les capitalistes ne la reconnaissent pas et si les intellectuels qui sont leur reflet (même si certains se proclament marxistes et même marxistes‑léninistes et marxistes-léninistes‑maoïstes) n'en n'ont aucunement conscience. Les affrontements économiques entre groupes impérialistes deviennent à nouveau antagonistes : le gâteau à se partager n'augmente pas assez pour valoriser tout le capital accumulé et chaque groupe ne peut grandir qu'en en éliminant un autre.
Dans tous les pays impérialistes, les affrontements économiques entre la bourgeoisie impérialiste et les masses populaires sont en train de devenir à nouveau antagonistes. Dans tous les pays impérialistes, la bourgeoisie est en train d'éliminer une après l'autre les conquêtes que les masses laborieuses avaient arrachées, soit en les abrogeant (échelle mobile, sécurité de l'emploi, etc.), soit en laissant dépérir les institutions dans lesquelles elles s'exerçaient (école de masse, instituts de prévoyance, systèmes de santé, industries publiques, constructions publiques, services publics, etc.). Le capitalisme à visage humain a fait son temps. Dans tous les pays impérialistes, la bourgeoisie est en train d'abolir ces règlements, normes, pratiques et institutions qui, au cours de la période d'expansion, ont tempéré ou neutralisé les effets les plus déstabilisants ou traumatisants du mouvement des capitaux et les pics extrêmes des cycles économiques. A présent, dans le cadre de la crise, chaque fraction du capital trouve que ces institutions sont un obstacle inacceptable à sa liberté de mouvement, en vue de conquérir son espace vital. La dérégulation, la privatisation des entreprises économiques d'Etat et plus généralement publiques, etc. sont à l'ordre du jour dans tous les pays impérialistes. Le mot d'ordre de la bourgeoisie est dans chaque pays, “ flexibilité ”, c'est-à-dire liberté pour les capitalistes d'exploiter sans limites les travailleurs.
Cela rend instable dans chaque pays impérialiste le régime politique et rend chaque pays moins gouvernable avec l'organisation qui avait fonctionné jusque-là. Les tentatives de changer pacifiquement cette organisation par une autre, ce qui en Italie se résume par la réforme de la Constitution, échouent régulièrement. En réalité il ne s'agit pas de changer les règles, mais de décider quels capitaux il convient de sacrifier pour que d'autres puissent êtres valorisés et aucun capitaliste n'est disposé à se sacrifier. Entre capitalistes, seule la guerre peut trancher. En fait, dans les relations entre groupes bourgeois, le mot d'ordre n'est plus l'accord et la répartition, mais est essentiellement la lutte, l'élimination et le recours aux armes. Sont ainsi à l'ordre du jour dans chaque pays impérialiste : des tentatives de réduire l'expression politique des divergences justement parce qu'elles s'accroissent, le recours toujours plus important des classes dirigeantes à des procédures criminelles et à des milices illégales et privées, la création de barrières électorales, l'élargissement des compétences des gouvernements et des appareils administratifs aux dépens des assemblées élues, la restriction des autonomies locales, la limitation par voie légale du droit de grève et de protestation en général, etc. Chaque Etat impérialiste, dans le but de faire obstacle à la montée de l'instabilité de son régime politique, doit toujours plus avoir recours à des mesures qui renforcent celle d'autres Etats : de l'abolition en 1971 de la convertibilité du dollar en or et du système monétaire de Bretton Woods, à la politique de taux d'intérêts élevés et d'expansion de la dette publique suivie par le gouvernement fédéral des Etats-Unis dans les années 80, aux mesures protectionnistes et d'incitation des exportations commerciales adoptées toujours plus fréquemment par tous les Etats, à la guerre qui s'annonce entre les systèmes monétaires du dollar et de l'euro. Le terme de “ Mondialisation ” est devenu le drapeau qui couvre et justifie les agressions de brigands, des Etats et des groupes impérialistes dans le monde entier, la nouvelle “ politique de la canonnière ”.
La crise de surproduction absolue de capital a donné naissance à la deuxième crise générale du capitalisme : une crise économique qui provoque une crise politique et culturelle. Une crise mondiale, une crise de longue durée.
La plus grande partie des pays semi-coloniaux est devenue en premier lieu un marché où les groupes impérialistes ont écoulé les marchandises que la surproduction du capital rendait excédentaires ; en second lieu un terrain où les mêmes groupes ont employé comme capital de prêt les capitaux qui ne pouvaient être utilisés dans les pays impérialistes comme capital productif qu'au prix d'un taux de profit décroissant, voire même avec une réduction de la masse du profit ; enfin, un terrain que les groupes impérialistes doivent envahir directement pour en faire un nouveau champ d'accumulation de capital. Les groupes impérialistes pillent les ressources humaines et environnementales des pays semi‑coloniaux, les dévastent et lorsqu'ils ont terminé leur ouvrage, les abandonnent et s'en vont dans d'autres pays. Les pays coloniaux se voient réduits au rang de colonies, mais de colonies collectives de tous les groupes impérialistes, ce qui fait qu'aucun d'entre eux n'assume de responsabilité pour la conservation sur le long terme des sources de profit et de rendement. L'émigration désordonnée de masses de travailleurs et une succession interminable de guerres sont les conséquences inévitables de cette nouvelle colonisation.
Dans la plus grande partie des pays socialistes, les régimes instaurés par les révisionnistes modernes ont d'abord été pris dans la crise économique en cours dans les pays impérialistes dont ils s'étaient précédemment rendus dépendants, commercialement, financièrement et sur le plan technologique, puis se sont écroulés, révélant ainsi leur fragilité politique. La bourgeoisie a dû prendre acte qu'il était impossible de restaurer graduellement et pacifiquement le capitalisme et a précipité ces pays dans un tourbillon de misère et de guerre, en les préparant ainsi à la restauration violente à n'importe quel prix. Le système impérialiste les a avalés, mais n'arrive pas à les digérer. Au contraire, ils ont même accéléré le processus de la crise générale dans les pays impérialistes.
Tout cela crée une nouvelle situation de guerre et de révolution, semblable à celle qui exista dans la première moitié du XXe siècle. Le monde doit changer et changera inévitablement : les organisations actuelles des pays impérialistes et les relations internationales actuelles font obstacle à la poursuite de l'accumulation de capital et seront donc inévitablement bouleversées. Ce seront les larges masses, en prenant l'un ou l'autre chemin, qui “ décideront ” si le monde changera encore sous la direction de la bourgeoisie, en créant une organisation différente dans une société encore capitaliste ou s'il changera sous la direction de la classe ouvrière et dans le cadre du mouvement communiste, en créant une société socialiste. Tout autre solution est exclue par les conditions objectives existantes : les efforts des partisans d'autres solutions feront en pratique le jeu de l'une de ces deux solutions qui sont les seules possibles. Telle est la nouvelle situation révolutionnaire de longue durée qui est en train de se développer et dans laquelle s'exercera le travail des communistes.
La bourgeoisie impérialiste peut surmonter l'actuelle crise de surproduction de capital et se donner ainsi une autre période de reprise, soit grâce à l'intégration des ex‑pays socialistes dans le monde impérialiste, soit grâce à une nouvelle colonisation et un plus grand degré de capitalisation de l'économie des pays semi‑coloniaux ou semi‑féodaux, soit grâce à une destruction de capital de dimension proportionnée, dans les pays impérialistes mêmes, soit, grâce à une combinaison des trois solutions précédentes. Chacune de ces solutions mène toutefois, avant tout, à une période de guerre et de bouleversements, dont chacun sera bien évidemment présenté aux masses, de la manière la plus flatteuse qui soit : guerre pour la paix, guerre pour la justice, guerre pour la défense de leurs propres droits et de leurs besoins vitaux, dernière guerre. Mais l'issue de cette période et la direction que prendra la mobilisation des masses qui se développera dans tous les cas, et que la bourgeoisie impérialiste elle‑même devra promouvoir de toute façon, seront décidées par la lutte entre les forces subjectives de la révolution socialiste et les forces subjectives de la bourgeoisie impérialiste. En définitive, le dilemme est, ou la révolution précède la guerre ou la guerre engendre la révolution.(26)
La classe ouvrière peut en effet surmonter victorieusement l'actuelle situation révolutionnaire, en prenant la direction de la mobilisation des masses populaires et en les menant à l'assaut contre la bourgeoisie impérialiste, jusqu'à la conquête du pouvoir et à mettre en marche la transition du capitalisme au communisme, sur une plus grande échelle que ce qu'elle a fait pendant la première crise générale. C'est la voie de la reprise du mouvement communiste, déjà en cours dans le monde, dont les points les plus avancés sont les guerres populaires révolutionnaires en cours dans certains pays.
1.7. L'expérience historique des pays socialistes
Il y a plus d'un siècle, la classe ouvrière constitua le premier Etat socialiste, la Commune de Paris (mars‑mai 1871). La Commune dura seulement peu de mois et fut constamment en guerre pour sa propre survie, contre les forces coalisées de la réaction française et de l'Etat allemand. Elle a toutefois constitué, avec son expérience pratique ainsi que par le carnage, épouvantable pour cette époque, que la bourgeoisie effectua pour tenter d'en effacer même le souvenir, une source d'enseignements précieux, dans laquelle, tout le mouvement communiste qui l'a suivie, a puisé.
En conséquence, comme l'a dit Marx, “ Paris ouvrier, avec sa Commune, sera célébré éternellement, comme le héraut glorieux d'une nouvelle vie ”.(27)
C'est toutefois pendant la première vague de la révolution prolétarienne que la classe ouvrière a formé les premiers pays socialistes.(28)
1.7.1. En quoi consiste le socialisme ?
Avant d'être une théorie, avant d'exister dans la conscience des communistes, le communisme a commencé à exister comme mouvement pratique, comme processus à travers lequel les rapports sociaux de production et les autres relations sociales se transforment, pour s'adapter au caractère collectif que les forces productives ont assumé pendant la période capitaliste.
Le communisme est donc le mouvement de la société mondiale qui se transforme de manière à mettre à la base de sa vie économique, la propriété commune et la gestion à la fois collective et consciente de ses forces productives par l'ensemble des travailleurs associés. La réalisation de cet objectif implique également la transformation non seulement des rapports de production, mais également de toutes les relations sociales et donc de l'homme lui‑même, la création d'un “ homme nouveau ”, dans ses sentiments, sa conscience, sa manière de se conduire lui‑même et de gérer ses relations.
Selon l'usage introduit par Marx, nous appelons socialisme, la première phase du communisme, la phase de transition du capitalisme au communisme.(29)
La transition du capitalisme au communisme est un mouvement objectivement nécessaire et inévitable. Le caractère collectif des forces productives affirme inévitablement, d'une certaine manière, ses droits, dès la société impérialiste, avant même que dans la société socialiste. Dans la société impérialiste, ces droits s'expriment négativement, en tant que tentatives de soumission de tout le mouvement économique de la société bourgeoise, donc de tous les capitalistes, aux “ associations de capitalistes ” (Etat, organismes économiques publics, monopoles, sociétés financières, etc.) que certains capitalistes tentent de faire exister, se heurtant à l'impossibilité de supprimer la division du capital en fractions opposées, à l'intérieur de chaque pays et au niveau mondial ; en tant que soumission hiérarchique et administrative en plus qu'économique, du reste de la population à ces associations de capitalistes ; en tant que répression et étouffement des manifestations les plus contradictoires et destructrices des rapports bourgeois ; en tant que tentative d'instaurer la direction et le contrôle des capitalistes sur les consciences et sur les comportements des masses prolétariennes. En conclusion, en tant que tentatives de réprimer les manifestations les plus destructrices des rapports de production capitalistes qui, de par leur nature, ne permettent ni ordre ni direction.
Les Formes antithétiques de l'unité sociale et en particulier le capitalisme monopoliste d'Etat sont en fait la préparation des prémices matérielles, la préparation matérielle du socialisme la plus complète que l'on puisse imaginer dans le capitalisme, l'antichambre du socialisme.(30) Mais le saut de la société capitaliste la plus préparée pour le socialisme au socialisme est réalisé par la révolution socialiste, par l'élimination de l'Etat de la bourgeoisie et par l'instauration de l'Etat de la classe ouvrière. Le socialisme, c'est la transformation des rapports de production et des autres rapports sociaux, mise en acte et dirigée par la classe ouvrière qui y trouve la réalisation de sa propre émancipation. Confondre les sociétés socialistes avec des sociétés à capitalisme monopoliste d'Etat signifie effacer la distinction entre les classes, faire de la confusion de classe sur le terrain théorique et cela mène à la vaine tentative de comprendre un mode de production supérieur avec les catégories de celui qui y est inférieur.
Toutefois, la transition du capitalisme au socialisme est un processus complexe et de longue durée que la conquête du pouvoir ne fait qu'entamer. Il s'agit en effet pour les travailleurs de se transformer en masse, de manière à devenir capables de se diriger eux‑mêmes et de trouver les formes associatives et organisationnelles aptes à mettre en œuvre leur direction sur leur propre processus de travail et sur eux‑mêmes. De fait, la transition du capitalisme au communisme dans la société socialiste se manifeste dans la création de la direction de tout le mouvement économique de la société par la communauté des travailleurs. La substance de la transition du capitalisme au communisme qui se réalise dans la société socialiste consiste justement en la formation de l'association des travailleurs du monde entier qui prend possession des forces productives déjà sociales et qui a instauré entre ses membres des rapports sociaux qu'elle dirige elle-même.
Dans la société bourgeoise, certaines ébauches de la formation de cette association ont déjà vu le jour : le parti communiste et les organisations de masse. Celles‑ci ne concernent toutefois qu'une partie infime des travailleurs et présentent encore bien des limites quant à l'égalité réelle des membres qui la composent. Elles sont renforcées par les luttes révolutionnaires à travers lesquelles le prolétariat arrive à la conquête du pouvoir. La constitution définitive de cette association, son articulation dans des organismes et des institutions, la création et la consolidation des rapports sociaux qui lui sont appropriés et la réunion en elle de toute la population constituent le résultat de la période historique du socialisme : c'est en cela que consiste principalement la transition du capitalisme au communisme. Quand cette association aura la capacité de diriger tout le mouvement économique et spirituel de la société, sa formation sera achevée. Alors nous n'aurons plus besoin ni d'Etat ni de parti communiste et les dirigeants seront de simples délégués qui auront des fonctions bien précises, remplaçables à tout moment, étant donné que des milliers d'autres individus seront capables d'accomplir cette tâche, aussi bien qu'eux.
Dans la société socialiste, le caractère collectif des forces productives s'exprime donc positivement comme impulsion de la transformation de la société actuelle ; de la suppression de la propriété privée individuelle et de groupe de toutes les forces productives (y compris de la force de travail) ; de l'élimination de la division en classes ; de la réduction des différences entre les villes et les campagnes et de celles entre les pays arriérés et les pays avancés ; de la réduction de la différence entre travail manuel et travail intellectuel ; de la diffusion de masse d'un haut niveau culturel ; de la diffusion des activités d'organisation, de projet et de direction. Impulsion également de l'instauration d'une communauté mondiale dans laquelle la poussée au développement de la productivité du travail humain vient de la réduction de la fatigue et de la durée du travail obligatoire et du développement des activités créatrices libres ainsi que des relations sociales de chaque individu, jusqu'à ce que le travail ait cessé d'être une condamnation et devienne l'expression principale de la créativité de chaque homme, le besoin principal de son existence sociale.(31)
L'expérience de l'époque de l'impérialisme et des révolutions prolétariennes a confirmé ce que l'analyse marxiste du mode de production capitaliste avait déjà indiqué : le passage de l'humanité du capitalisme au communisme se réalise et ne peut se réaliser que grâce à une progression par vagues successives, dont le moteur est la lutte des classes. A chaque nouvelle vague, de nouveaux peuples passent au socialisme et la transformation des sociétés socialistes en communistes progresse. A la vague succède le reflux : les transformations sont assimilées, se répandent, se concrétisent, se vérifient, se corrigent, se consolident, sont écartées, bloquées ou changées. Des avancées et des reculs sont inévitables, pendant que l'humanité s'ouvre le chemin du communisme. Dans les périodes d'avancée, la bourgeoisie et ses porte‑parole luttent avec une détermination sauvage, pour la briser et la saboter ; à chaque reflux, ils se précipitent pour proclamer que le communisme est impossible, qu'il est mort. Mais en fait, le capitalisme ne résout aucun des problèmes qui ont poussé les classes et les peuples opprimés vers le communisme et, par conséquent, ceux‑ci recommenceront leurs tentatives jusqu'au succès. Le prolétariat et ses porte‑parole apprennent également dans chaque reflux, accumulent les forces matérielles et spirituelles grâce auxquelles ils préparent la nouvelle période d'avancée qui inévitablement suit chaque période de reflux.
Les pays socialistes ont concerné une part limitée, bien que considérable de l'humanité, environ un tiers. Le mouvement communiste est de par sa nature mondial. L'unité économique du monde, créée par le capitalisme, se reflète dans le caractère international de la situation révolutionnaire qui permet à la classe ouvrière de prendre le pouvoir et dans le caractère mondial qu'aura le communisme. Mais le déséquilibre dans le développement matériel et spirituel des divers pays et des diverses parties de l'économie mondiale sous le capitalisme se reflète dans le fait que la classe ouvrière a conquis et probablement conquerra dans le futur aussi le pouvoir à des moments différents selon les pays ; donc la transition du capitalisme au communisme commencera à des moments différents et avancera à des rythmes différents et sous des formes différentes selon les pays.
Le parcours lui‑même de la transition sera nécessairement divers, parce qu'il reflétera aussi bien la diversité des points de départ que la diversité des caractères nationaux qui sont loin d'avoir disparu, bien que le capitalisme ait fortement atténué l'isolement des nations et des pays.
1.7.3. Les différentes phases que les pays socialistes ont traversées
La vie des pays socialistes, créés lors de la première vague de la révolution prolétarienne, couvre une période relativement brève, de 1917 à nos jours. Au cours de leur vie, les pays socialistes ont traversé trois phases.
La première commence avec la conquête du pouvoir par la classe ouvrière et est caractérisée par les transformations qui éloignent les pays socialistes du capitalisme et les font se diriger vers le communisme. C'est la phase de la “ construction du socialisme ”. Cette dernière a duré presque quarante ans pour l'Union soviétique (1917-1956), environ dix ans (1945-1956) pour les démocraties populaires d'Europe orientale et centrale, moins de trente ans pour la République populaire chinoise (1950-1976).
La seconde phase commence quand les révisionnistes modernes conquièrent la direction du parti communiste et inversent le cheminement de la transformation. C'est la phase caractérisée par la tentative de restauration graduelle et pacifique du capitalisme : on n'accomplit plus de pas vers le communisme, les germes de ce dernier sont étouffés, on donne libre cours aux rapports capitalistes encore existants et on essaie de ramener à la vie ceux qui ont disparu. On refait à rebours le chemin accompli lors de la première phase, jusqu'à la pathétique proposition de NEP faite par Gorbatchev à la fin des années 80! C'est la phase de la “ tentative de restauration pacifique et graduelle du capitalisme ”.(32) Cette phase a commencé pour l'URSS et les démocraties populaires d'Europe orientale et centrale, approximativement en 1956 et a duré jusqu'à la fin des années 80 ; pour la République populaire chinoise, elle a débuté en 1976 et est encore en cours.
La troisième phase est celle de la “ tentative de restauration du capitalisme à tout prix ”. C'est la phase de restauration sur une grande échelle de la propriété privée des moyens de production et de l'intégration à tout prix au sein du système impérialiste mondial. C'est la phase d'un nouvel affrontement violent entre les deux classes et les deux voies : restauration du capitalisme ou reprise de la transition vers le communisme ? Cette phase s'est ouverte pour l'URSS et les démocraties populaires d'Europe orientale et centrale, vers 1989 et est encore en cours.
Le socialisme, c'est la transformation des rapports de production, du reste des rapports sociaux et des conceptions qui en découlent, pour les adapter au caractère collectif des forces productives et le renforcement du caractère collectif des forces productives pour lesquelles ce caractère est encore secondaire.(33) Donc, les progrès accomplis par la classe ouvrière au cours de la première phase de la vie des pays socialistes doivent être observés dans les rapports de production (propriété des forces productives, rapports entre les travailleurs dans le processus du travail, répartition du produit), dans le reste des rapports sociaux (politique, droit, culture, etc.) et dans les conceptions, dans la conscience des hommes et des femmes.
1. L'Etat et le pouvoir politique
Rôle dirigeant du parti de la classe ouvrière et création d'un système de dictature du prolétariat.
Mobilisation des masses en vue d'assumer les tâches de l'administration publique.
Internationalisme prolétarien et soutien à la révolution prolétarienne dans le monde entier.
Coexistence pacifique entre pays à régimes sociaux différents (contre l'agression des Etats et des groupes impérialistes).
2. La transformation dans les rapports de production
— Propriété des moyens et des conditions de la production
Élimination de la propriété privée des plus importantes structures de production, élimination des rapports marchands entre les principales unités de production : attribution des tâches de production et des ressources par le plan, répartition planifiée des produits.
Transformation des activités individuelles (paysans, artisans, etc.) en activités coopératives.
Obligation à tout le monde d'accomplir un travail socialement utile.
Atténuation de la propriété privée de la capacité de travail, en particulier de la capacité de travail qualifié.
Développement sur une grande échelle du travail volontaire pour faire face à des nécessités sociales (samedis communistes).
— Rapports entre les hommes dans le travail
Mesures en vue d'éliminer la distinction entre travail manuel et travail intellectuel (de direction, d'organisation, de planification, d'administration, de comptabilité, etc.).
Répartition au sein de toute la population, du travail nécessaire et du travail intellectuel (dans le domaine culturel, des loisirs, politique, etc.).
Mesures d'intégration du travail simple (abstrait) et du travail complexe (concret).
Rapprochement des villes et des campagnes : urbanisation des campagnes.
— Répartition du produit
Élimination des revenus qui ne proviennent pas du travail (profits, rentes, intérêts, droits d'auteur, etc.).
Rétribution selon la quantité et la qualité du travail accompli.
Augmentation de la disponibilité libre ou quasiment libre des biens de consommation de première nécessité.
Fourniture de certains services, selon la nécessité (instruction, santé, etc.).
Attribution à la fonction et non à l'individu des privilèges qui ne peuvent pas encore être éliminés.
3. La transformation dans les rapports de superstructure
Constitution des organisations de masse et attribution à celles‑ci de l'organisation et de la gestion de certaines activités de l'administration publique (réduction du rôle des fonctionnaires publics professionnels).
Promotion de l'accès généralisé à l'instruction, à tous niveaux et à tout âge.
Élimination des religions d'Etat, des privilèges des églises et liberté généralisée pour tous les cultes et religions, liberté de ne pas professer de culte et de professer et faire de la propagande en faveur de l'athéisme.
Lutte contre les sectes et les sociétés secrètes.
Diffusion et approfondissement des autonomies locales dans tous les domaines (politique, culturel, économique, instruction, judiciaire, ordre public, militaire, etc.) : les soviets en Union Soviétique et les communes en RPC.
Reconnaissance de la maternité et des soins aux enfants, comme fonctions sociales.
Emancipation des femmes vis-à-vis des hommes.
Emancipation des enfants et des jeunes vis-à-vis des parents.
Lutte contre les discriminations nationales et raciales.
Les intellectuels du secteur culturel au service des travailleurs et diffusion des activités culturelles parmi les travailleurs.
Contrôle de masse sur les dirigeants et sur les membres du parti communiste.
Épuration périodique des dirigeants.
Les pas en arrière accomplis dans la seconde phase des pays socialistes sont reconnaissables avec le même critère utilisé pour reconnaître ceux qui sont accomplis lors de la première phase.
1. L'Etat et le pouvoir politique
Abolition des mesures qui protégeaient la nature de classe du parti (“ parti du peuple tout entier ”) et du système politique (“ Etat du peuple tout entier ”).
Fin des campagnes de mobilisation des masses dont la finalité était d'assumer de nouvelles et de plus vastes tâches sur le plan économique, politique et culturel.
Intégration économique, politique et culturelle des pays socialistes dans le monde impérialiste : substitution de la coexistence pacifique entre pays à régimes sociaux différents et du soutien à la révolution prolétarienne, par la compétition économique, politique et culturelle entre pays socialistes et pays impérialistes.
2. La transformation dans les rapports de production
— Propriété des moyens et des conditions de la production
Introduction de l'autonomie financière des entreprises.
Atténuation de l'autorité du plan.
Introduction de rapports directs entre les entreprises pour l'échange ou la vente de biens et de services.
Élargissement de la propriété individuelle (dans les campagnes, dans le commerce de détail, dans les prestations de travail entre privés).
Abolition de l'obligation générale d'accomplir un travail socialement utile.
Atténuation du rôle social du travail volontaire.
— Rapports entre les hommes dans le travail
Atténuation ou élimination des mesures d'intégration et de rapprochement du travail manuel et du travail intellectuel (de direction, d'organisation, de planification, d'administration, de comptabilité, etc.).
Atténuation ou élimination des mesures qui mettaient en œuvre la participation de toute la population au travail nécessaire et qui promouvaient la participation des travailleurs au travail intellectuel (dans le domaine culturel, récréatif, politique, etc.) : exaltation du professionnalisme.
Élargissement de la division entre travail simple (abstrait) et travail complexe (concret).
Affaiblissement des mesures destinées à rapprocher la ville et la campagne.
Développement inégal entre différentes zones et donc création ou intensification de contradictions au sein des masses.
— Répartition du produit
Légitimation des revenus qui ne proviennent pas du travail (profits, rentes, intérêts, droits d'auteur, etc.).
Utilisation des augmentations de rétribution pour étouffer les contradictions entre les masses et les autorités.
Rôle principal donné aux stimulants économiques individuels pour augmenter la productivité du travail.
Diminution de la disponibilité gratuite ou quasiment gratuite des biens de consommation de première nécessité.
Réduction de la fourniture de services selon la nécessité (instruction, santé, etc.), introduction de deux catégories de services (publics et privés) et détérioration des services publics.
Légalisation et légitimation morale de l'enrichissement individuel.
3. La transformation dans les rapports de superstructure
Transformation des organisations de masse en organes de contrôle.
Décadence des autonomies locales.
Affaiblissement de la lutte en faveur de l'émancipation des femmes vis-à-vis des hommes.
Réévaluation du rôle de la famille vis-à-vis des enfants et des jeunes.
Concession de privilèges aux églises et au clergé en échange de leur collaboration et de leur loyauté envers le pouvoir politique.
Augmentation du rôle des fonctionnaires professionnels dans l'accomplissement des fonctions sociales.
Autonomie des intellectuels vis-à-vis des travailleurs.
Abolition du contrôle de masse sur les dirigeants et sur les membres du parti communiste.
Abolition de l'épuration périodique des dirigeants.
1.7.6. Comment les révisionnistes modernes ont‑ils pu prendre le pouvoir ?
La possibilité d'un retour en arrière est inscrite dans la nature des pays socialistes. Nier cette possibilité équivaut à nier que la lutte de classe continue après que la classe ouvrière ait conquis le pouvoir.
En général, les pays socialistes, dans la première phase de leur existence, ont fait de grands pas dans la transformation de la propriété des moyens de production, c'est-à-dire dans le premier des trois aspects des rapports de production. “ La transformation socialiste de la propriété est accomplie pour l'essentiel, chez nous ”, disait Mao dans les années 60. Mais la propriété individuelle subsistait encore en petite quantité et la propriété de groupe était encore présente sur une vaste échelle (kolkhozes, communes, coopératives). En outre, on n'avait résolu que dans une petite mesure le problème de l'élimination de la propriété privée de sa propre force de travail, en particulier de la force de travail la plus qualifiée : celle des techniciens, des intellectuels, des scientifiques, etc.
Tout cela concerne le premier aspect des rapports de production.
Dans les pays socialistes, au terme de la première phase, la masse des travailleurs était encore loin de pouvoir se diriger directement, elle était encore loin de cette condition, pour le dire avec Lénine, où “ même une cuisinière peut diriger les affaires de l'Etat ”, même s'ils avaient fait des pas en avant dans cette direction et même si les bases matérielles pour réaliser cette condition ont été, sur le plan historique, pleinement posées par le capitalisme lui‑même.(34) Tant que les masses sont éloignées de cette condition, celui qui dirige n'est pas un simple délégué qui accomplit une fonction donnée, que l'on peut remplacer à tout moment par quelqu'un d'autre tout aussi capable. Il dispose d'un pouvoir personnel que la grande majorité des autres individus n'est pas en mesure d'exercer et qui est, toutefois, socialement nécessaire : l'on ne peut le supprimer d'un trait.
Cela concerne le second aspect des rapports de production et les rapports de superstructure.
Les pays socialistes au terme de la première phase étaient encore loin de pouvoir réaliser une répartition des produits, basée sur le principe “ à chacun selon ses besoins ”, même s'ils avaient accompli des pas en avant dans cette direction et si les bases matérielles pour réaliser cette condition ont été, sur le plan historique, pleinement posées par le capitalisme lui‑même.(35) Tant que cette condition n'est pas réalisée, celui qui dirige dispose pour accomplir ses tâches de conditions de vie et de travail dont la grande majorité des individus ne dispose pas. La répartition “ à chacun selon son travail ” crée de par elle‑même de grandes disparités entre les individus, tend à rétablir des rapports d'exploitation et ouvre, en outre, mille possibilités à des violations du principe “ à chacun selon la quantité et la qualité du travail accompli ”.
Cela concerne le troisième aspect des rapports de production et les rapports de superstructure.(36)
Dans les pays socialistes, dans la première phase de leur vie, de grands pas en avant avaient été faits pour mettre la culture, l'art et la science au service des travailleurs, de manière à ce que le patrimoine culturel, artistique et scientifique soit utile aux travailleurs pour leur faciliter la compréhension et la solution des problèmes de leur vie spirituelle et matérielle. Toutefois, la culture, l'art et la science constituaient encore dans une large mesure des secteurs dans lesquels prédominait la conception bourgeoise. Les intellectuels, les artistes et les scientifiques se considéraient comme des personnes spéciales et vivaient, sous de nombreux aspects, une vie à part et privilégiée. La masse de la population bénéficiait de manière encore limitée du patrimoine culturel, artistique et scientifique de la société.
Il en résulte donc clairement que, dans les pays socialistes, existait encore une lutte entre la bourgeoisie et la classe ouvrière et que, dans ceux‑ci, la bourgeoisie est constituée pour l'essentiel de cette partie des dirigeants de la nouvelle société qui s'opposent à la transformation et qui suivent la voie du capitalisme. Leur présence alimente des tendances et des rêves de restauration. Les tendances et les rêves de restauration mènent inévitablement à des tentatives de restauration. Ceci est une donnée objective qui sera présente durant toute la période socialiste, dans tous les pays socialistes.
Qu'est‑ce qui transforme cette possibilité en réalité ? Les erreurs de la gauche. Ce sont les erreurs qui en s'accumulant et en n'étant pas corrigées devinrent systématiques, jusqu'à constituer une ligne de restauration du capitalisme et d'étouffement des germes de communisme et permettre que la direction soit prise par les promoteurs et les partisans de la restauration.
L'erreur est inscrite dans toute nouvelle expérience. L'étude approfondie de l'expérience des pays socialistes et la collaboration fraternelle avec les communistes des premiers pays socialistes fourniront aux communistes la possibilité d'éviter de commettre les erreurs déjà commises dans les premiers pays socialistes et plus généralement de commettre moins d'erreurs.
La lutte entre les deux lignes, la conscience de la lutte de classe, la pratique de la critique et de l'autocritique et en général les enseignements pour ce qui concerne la lutte de classe au sein de la société socialiste, résumés dans le maoïsme, permettront aux futurs pays socialistes d'aller plus loin.
Le motif principal de l'écroulement des régimes révisionnistes à la fin des années 80 est la crise générale du monde capitaliste. Elle ne permettait plus de continuer la lente et graduelle érosion du socialisme. La bourgeoisie qui gouvernait les pays socialistes n'était plus en mesure de faire face aux dettes contractées auprès des banques et des institutions financières internationales, elle n'était plus en mesure de mobiliser les masses des pays socialistes pour faire face aux conséquences d'une annulation des dettes avec l'étranger et se trouvait réduite à brader les marchandises et les ressources des pays socialistes sur le marché impérialiste, en précipitant ainsi la crise économique interne qui se transforma en crise politique. La bourgeoisie des pays impérialistes avait besoin de nouveaux terrains d'investissement, de nouvelles rentes et de nouveaux marchés ; en outre, elle faisait face avec de plus en plus de difficultés à l'influence perturbatrice que les pays socialistes avaient dans ses relations avec les masses et avec les semi‑colonies et dans les relations entre les groupes impérialistes mêmes. La bourgeoisie a donc dû jouer le tout pour le tout : une partie douloureuse pour les masses, mais très risquée aussi pour la bourgeoisie. Elle a jeté le masque et la lutte entre les deux classes et les deux voies est, à présent, à nouveau déclarée dans tous les pays socialistes.
1.7.7. Les enseignements des pays socialistes
Au cours de leur brève existence, les pays socialistes
— ont démontré que, pour instaurer le socialisme, la classe ouvrière doit posséder un parti communiste et ont fourni de très importants enseignements sur la nature de ce parti ;
— ont enseigné que, pour instaurer le socialisme, la classe ouvrière doit prendre la direction du reste du prolétariat et des masses populaires (front) ;
— ont démontré que, pour instaurer le socialisme, la classe ouvrière doit construire ses propres forces armées, qu'elle doit détruire le vieil Etat et la vieille administration publique de la bourgeoisie, qu'elle doit instaurer sa propre dictature ;
— ont démontré que la classe ouvrière doit maintenir sa propre dictature pour une durée indéterminée ;
— ont démontré que la classe ouvrière doit mobiliser les masses, les organiser et les former en vue d'assumer des tâches de plus en plus importantes dans l'administration publique, dans l'économie et dans la superstructure ;
— ont fourni une démonstration sur une grande échelle que le communisme est possible : dans la première phase de leur existence, ils ont donné une réponse affirmative pratique et sur une grande échelle, à la question à laquelle Marx et Engels n'avaient donné, par la force des choses, qu'une réponse théorique ;(37)
— ont montré de quelles grandioses réalisations sont capables les masses populaires guidées par la classe ouvrière ;
— ont fourni une masse énorme d'expériences concrètes sur comment organiser la vie et transformer les rapports sociaux dans tous les domaines de l'activité économique, culturelle, artistique, scientifique, etc.;
— ont démontré qu'une fois constitués, les pays socialistes ne peuvent être vaincus par quelque agression extérieure que ce soit (la République hongroise des conseils de 1918 fut étouffée dans ses premiers mois) ;
— ont démontré que la lutte de classe continue même après la conquête du pouvoir et même après avoir, pour l'essentiel, transformé les rapports de propriété des moyens de production (travail mort) ;
— ont démontré que la culture et en général les activités ayant trait à la superstructure sont le terrain où la résistance de la bourgeoisie est la plus tenace et la plus dure à vaincre ;
— ont démontré que, dans les pays socialistes, la bourgeoisie d'où peuvent provenir des tentatives de restauration est constituée pour l'essentiel par des dirigeants du parti, de l'Etat, de l'administration publique, des organisations de masse ;
— ont démontré que l'involution (retour en arrière) est un processus possible, mais difficile et lent et d'autant plus difficile que la transformation vers le communisme est plus avancée et que les masses ont été activement protagonistes du processus de transformation.
L'histoire de la troisième phase des pays socialistes confirme que la restauration du capitalisme n'est pas possible, sinon comme processus de bouleversement et de décadence complète de la société qui prendra un certain temps. Il est impossible de ramener pacifiquement les hommes et les femmes formés par le socialisme à une vie dans un système inférieur : il est nécessaire de les déformer, les estropier et les violenter dans une mesure que jusqu'à présent nous ne réussissons pas à imaginer. Dix ans après la “ révolution démocratique ”, les pays socialistes restent encore le maillon faible de l'impérialisme, les pays où la bourgeoisie est le plus en danger.
De même que la Commune de Paris fut le guide des communistes pour accomplir leur tâche, dans la première vague de la révolution prolétarienne, l'expérience de l'Union Soviétique, de la République populaire chinoise, des autres pays socialistes et de la Révolution Culturelle Prolétarienne, seront le guide des communistes dans l'accomplissement de leur tâche, dans la seconde vague de la révolution prolétarienne.